Formée par Eugeni Quitllet dans l’agence de Philippe Starck et ancienne résidente de La Fabrica sous la direction de Sam Baron, Margaux Keller fait aujourd’hui partie des designers et architectes d’intérieur que l’on suit de près sur la scène française et internationale. A la tête de son studio fondé en 2011, elle redéfinit la conception des objets et espaces avec une approche novatrice et poétique. Du design global avec plus de sens et d’émotions pour mieux vivre le quotidien.
Bonjour Margaux, retrace-nous ton parcours et tes débuts de designer…
Passée par l’école Olivier de Serres puis par l’école Boulle, de laquelle je suis sortie avec un diplôme supérieur d’arts appliqués, d’architecture intérieure et de design mobilier. A la suite de ça, je suis passée par l’agence Philippe Starck en stage où j’ai été formée par l’excellent Eugeni Quitllet, au dessin de mobilier et de chaises plus particulièrement. Ensuite direction l’Italie, à La Fabrica, centre de recherche et communication du groupe Benetton : une sorte de Villa Médicis orientée design qui accueille des jeunes créatifs du monde entier en résidence à Trévise, non loin de Venise, pendant une année. Un épisode que j’ai vécu comme un tremplin, aux côtés du directeur artistique Sam Baron, qui m’a permis de développer ma créativité et de devenir réellement designer. En 2011, retour à Marseille, où je fonde mon agence Margaux Keller Design Studio. Je travaille depuis sur des projets de design produit, mobilier et architecture d’intérieur : du design global !
Tu as fait partie de la Fabrica sous la direction de Sam Baron. Que retiens-tu de cette expérience ?
Sans la Fabrica, je n’aurais probablement jamais créé ma propre agence. C’était un tremplin professionnel incroyable. J’ai passé un an à travailler aux côtés de designers du monde entier, sur des projets géniaux. Le rythme était dense, mais j’ai adoré ça. Ça m’a donné le goût du tourbillon, du bouillonnement. C’est plus qu’une formation, c’est une expérience professionnelle et aussi humaine. Coréens, Australiens, Canadiens, Italiens, Chiliens, Suédois, toutes les nationalités étaient représentées et nous allions le week end boire des spritz à Venise. Le paradis…
Tu travailles beaucoup sur des objets multifonctions… La fonction unique n’existe quasiment plus pour toi ?
En fait c’est plutôt que j’aime me délier des typologies classiques d’objets : je pense que beaucoup de produits aujourd’hui ne répondent plus forcément à nos attentes et nos besoins du quotidien. Je trouve que ça fait partie de notre rôle de questionner, ou requestionner les objets qui nous entourent.
Tu penses donc qu’il faut repenser la conception des objets, meubles… ?
En tout cas il ne faut jamais se dire : pour dessiner une chaise il me faut une assise, 4 pieds et un dossier. Il vaut mieux se dire : comment a-t-on besoin de s’asseoir aujourd’hui, en oubliant les millions de chaises qui existent déjà. On sera beaucoup plus juste en raisonnant comme cela.
Tu essayes également d’intervenir davantage sur le design global… Aménagement d’espaces, scéno, bureaux….
Oui c’est une pratique que je développe depuis 3 ans maintenant, j’adore cet exercice qui est évidemment complémentaire à ma casquette de designer produit et mobilier. Les objets sont toujours présentés dans un espace, et on crée beaucoup plus de sens si tout est pensé dans son ensemble.
Tu as réalisé l’aménagement intérieur de la boutique des Ailes Aux Pieds. Comment l’as-tu imaginée ?
Le client m’a contacté pour imaginer une nouvelle façon de proposer des chaussures à une clientèle haut de gamme. On a repris l’idée du chausseur : une boutique dans laquelle on vous chausse. Cette dimension de service est clairement plus humaine que simplement le principe d’une boutique pour acheter des chaussures. J’ai donc imaginé un système d’ailettes en bois et laiton brossé, qui présentent les souliers comme sur des piédestaux, qui leur redonnent de l’importance, les magnifient. Je voulais m’éloigner à tout prix de ce qu’on a l’habitude de voir dans les boutiques de chaussures : des enfilades de bottes, baskets et mocassins, à en avoir le tournis. D’autant plus que la boutique présente des marques qui pour la plupart fabriquent en France ou en Europe, ou bien ont un concept particulier comme les talons amovibles de Tanya Heath. Les couleurs de la boutique s’inspirent directement de la région, un ocre et un bleu qui rappelle le ciel de Provence par exemple.
Il y a aussi ce projet de parfumerie pour Gellé Frères… Une demande et un univers bien différents de la chaussure…
Oui c’était une super expérience. Gellé Frères est une marque ancestrale parisienne qui avait disparu des rues de Paris. Les frères Gellé étaient distillateurs de fleurs et parfumeurs de Marie-Antoinette à Versailles. La marque reprend aujourd’hui ce principe de micro-encapsulation des particules odorantes des fleurs pour les traduire dans des flacons de parfums, avec des technologies très abouties. Le défi pour moi était de parvenir à raconter cet historique très fort tout en témoignant de la modernité affirmée de la maison Gellé Frères. Le tout en proposant un espace visuellement très qualitatif, voire carrément haut de gamme pour des produits qui sont finalement très abordables. J’ai beaucoup aimé cette dimension : une expérience moderne et valorisante pour découvrir des senteurs naturelles. On retrouve une dominante de rose poudré, très féminine, qui est clashée par un violet fleur de Lys très fort et contrasté. Le marbre arabescato recouvre les supports de présentation, et le mobilier est largement inspiré de meubles anciens traditionnels français, dont on a évidemment cassé les codes comme à notre habitude…
Ta collection avec Bibelo est très en vue également… Parle nous un peu de cette collaboration…
Oui, l’aventure Bibelo est plus qu’une collaboration. J’ai effectivement pris la direction artistique de la marque en octobre 2016. On a réécrit toute l’histoire pour donner un nouveau point de départ, avec une baseline qui en dit long sur les produits : objets attachants. Je suis donc cette aventure de très près, puisque je suis en charge de continuer à écrire l’histoire et le discours de la marque en général, en sélectionnant les designers, les nouveautés, en dessinant des produits moi-même, en choisissant les prochains coloris, et en mettant en place les shootings et scénographies d’expositions. C’est passionnant ! Et nous avons de supers retours sur nos produits donc on est ravis.
Sur quoi travailles-tu actuellement ?
Je travaille en ce moment sur un nouveau concept de chaise, modulable et livrée en kit, fabriquée en France. C’est un joli défi pour moi et un super exercice en tant que designer. Je dessine également un restaurant de 200m2 au cœur de la Provence, un concept de brasserie intérieur/extérieur. L’espace a un super potentiel. Et évidemment l’aventure Bibelo, et des nouveautés en préparation pour Janvier, RDV sur Maison & Objet 2018.
Peux-tu nous parler de tes futurs projets pour l’année prochaine ?
Ce qui est excitant dans ce métier c’est qu’on ne sait jamais de quoi l’année prochaine sera faite ! Les projets arrivent tout seuls au fur et à mesure et s’enchainent assez bien… Il y aura évidemment l’histoire Bibelo qui va continuer, je l’espère pour le plus longtemps possible.
Y a-t-il un projet dont tu rêves ?
J’aimerais beaucoup me pencher sur le design global d’un hôtel, je trouve que ces espaces sont aujourd’hui trop éloignés de nos modes de vie et nos attentes dans ces moments-là. Il y aurait tellement à repenser, redessiner, recréer. Face au géant Airbnb, aux nouveaux modes de partage de lieux de vie, l’hôtellerie doit à mon sens se moderniser.