Évoluant entre Paris et Marseille, Marion Mailaender dévoile une vision singulière du design et de l’architecture à travers des projets aux multiples formes et échelles. De la création d’objets à la scénographie en passant par des collaborations avec des artistes, elle affirme son identité dans le mélange des genres et un esprit fun bien marqué.
© photos : Charlotte Lapalus / Christophe Coënon / Marion Mailaender
Bonjour Marion, quelques mots sur votre parcours et votre agence installée
à Marseille et Paris ?
Après une formation à l’école Boulle, j’ai lancé mon agence en 2004. Ce fut le début d’une aventure où se croisent architecture intérieure, design, scénographie et création d’objets. J’ai toujours voulu que mon travail reflète cette transversalité, je ne me limite pas à une discipline. Et mon ancrage à la fois à Marseille et à Paris me permet de puiser dans deux univers très distincts.
Vous travaillez les projets à différentes échelles : architecture intérieure, design, scénographie, objets…
Oui, effectivement. J’ai une pratique assez large, et c’est quelque chose que j’apprécie énormément. Chaque projet me nourrit et nourrit le suivant. Que ce soit une scénographie pour un musée, la rénovation d’un espace hôtelier ou la conception d’un objet, chaque projet est un prétexte pour explorer, expérimenter et créer des ponts entre différentes pratiques. Ce qui me fascine, c’est la possibilité de sans cesse renouveler mon regard. Travailler sur des échelles différentes, du macro au micro, me permet d’avoir une vision globale du design. Chaque projet naît d’une rencontre et s’inscrit dans un contexte spécifique, qu’il s’agisse d’une collaboration avec des artistes comme Sophie Calle ou Amélie Pichard, ou de répondre aux besoins très personnels d’un client. À travers cette pluralité, j’aime explorer le mélange des genres et des époques, souvent avec des accents des années 80 et 90. Cela me permet d’apporter à chaque projet une dimension unique et inattendue.
La Cité Radieuse a-t-elle joué un rôle dans votre rapport à l’espace et votre vision de l’architecture et du design aujourd’hui ?
La Cité Radieuse a eu une influence indéniable sur moi. Une partie de ma famille y vivait, et j’ai grandi avec ces espaces comme toile de fond. C’était ma première rencontre avec l’architecture moderne, même si à l’époque, je n’en avais pas pleinement conscience. Tout cela a dû infuser dans mon esprit quand j’étais enfant. Ce lieu m’a sensibilisée à l’importance de l’interaction entre architecture et mode de vie. La modularité des espaces, l’usage de la lumière naturelle, et cette manière de penser un bâtiment comme une entité complète et autosuffisante sont autant d’éléments qui m’ont marquée. Aujourd’hui encore, j’aime réfléchir à des espaces qui transcendent leur fonction première et qui racontent une histoire.
Vous revisitez régulièrement les années 80 et 90 dans vos projets. Que vous inspire cette période en matière d’esthétique ?
Ces décennies incarnent pour moi une certaine audace créative. J’aime le coté radical des années 90 très techno et le côté débridé des années 80. Ces périodes sont pour moi des sources d’idées qui permettent de surprendre et de provoquer une émotion. J’aime m’en inspirer pour créer des projets où le “fun” et le fonctionnel cohabitent avec harmonie, mais aussi pour interroger notre rapport au design contemporain. J’aurais beaucoup aimé être adulte à cette époque-là.
Le côté “fun” trouve toujours sa place dans vos projets…
Pour moi, le “fun” est une manière de rendre le design accessible et vivant. La phrase “Fun follows function” illustre bien mon état d’esprit. Il s’agit de trouver des solutions esthétiques et fonctionnelles qui suscitent un sourire ou une réflexion. Par exemple, détourner un matériau ou un objet du quotidien pour en faire quelque chose de complètement inattendu, comme mes vases réalisés avec différents échantillons de matériaux. Cela crée une rupture, une surprise, tout en ancrant l’objet dans une histoire ou une mémoire collective.
Comment avez-vous intégré l’environnement naturel des Calanques dans le design du Tuba Club ?
C’est plutôt le tuba club qui s’est intégré dans le Parc Naturel des Calanques en essayant de rester dans l’esprit cabanon. Plutôt que de vouloir imposer une esthétique, l’idée était de respecter et de s’inspirer de l’esprit des Calanques. Le Tuba Club s’inscrit dans une logique de cabanon, en harmonie avec son environnement naturel. Chaque élément a été pensé pour s’effacer au profit du paysage, tout en apportant une touche contemporaine et chaleureuse. Nous avons utilisé des matériaux simples, des tons neutres, et un mobilier qui dialogue avec la mer et la roche. C’est un lieu qui invite à la contemplation et au lâcher-prise, sans jamais rompre avec l’identité méditerranéenne.
De quelle manière conciliez-vous esthétique et respect de l’environnement, notamment dans vos créations d’objets ? Vous aimez réutiliser, détourner les usages…
Oui, le réemploi est un réflexe naturel chez moi, je pense que mettre en valeur l’existant est quelque chose d’essentiel et donne aux projets un forte personnalité. Il ne s’agit pas seulement d’être écologique, mais aussi de raconter une histoire à travers les matériaux. Transformer des rebuts d’artisans, intégrer des chutes de marbre ou de granito, ou détourner des objets du quotidien sont autant de manières d’apporter une âme aux projets tout en limitant leur impact environnemental. Cela me permet également d’explorer de nouvelles formes et textures, de créer des objets hybrides qui incarnent à la fois un passé et un futur.
Quel regard portez-vous sur l’omniprésence de l’IA de nos jours ?
Est-ce un outil que vous utilisez ?
Je commence à l’utiliser, évidemment prudemment et avec curiosité. Je pense que cela peut être un très bon outil si on a la culture pour l’utiliser, l’esprit critique et la maîtrise du processus créatif. Et en même temps, ça me fait un peu peur quand je vois tous les dégâts sur l’uniformisation des goûts que l’on subit avec des applis comme Instagram. Le pire et le meilleur…
Quels sont les projets actuels et futurs de l’agence ?
Nous travaillons sur deux projets hôteliers dans le sud, un projet de café littéraire pour une marque de luxe, une scénographie pour le centre Pompidou et aussi une collection de meubles et des projets privés à Paris. C’est assez large.