Designer freelance installé entre Paris et La Rochelle, Bastien Chapelle fut membre du studio Ora ïto avant d’opérer une transition pour collaborer aujourd’hui avec de jeunes structures. Au-delà de la création de mobilier, luminaires et autres objets, il accompagne ses clients dans toutes les étapes de leur développement. Passage à Helsinki, collaborations et projets futurs sont au programme.
Comment ça va ? Pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas, quel parcours as-tu suivi et que fais-tu ?
Très occupé par mon nouveau rôle de papa et mes nouveaux projets professionnels. Je n’ai pas le temps de m’ennuyer ! Ma vocation est née il y a déjà bien longtemps, lorsqu’à quatorze ans j’ai découvert le métier de designer Produit, et ai rêvé d’en faire mon futur. Après une parenthèse sportive, j’ai suivi un Master 2 à Strate, École de design. Le stage de fin d’études m’a permis de rejoindre l’équipe du designer Ora Ito à Paris. J’ai mûri à ses côtés, au fil des projets, pendant cinq belles années. J’ai lancé mon propre studio de création il y a trois ans, et suis désormais installé dans un petit village entre La Rochelle et le marais poitevin. Un havre de paix bénéfique à ma créativité (à découvrir sans hésiter vous qui me lisez !).
Tu as travaillé au sein d’une grande agence sur des projets médiatiques pour aujourd’hui exercer en tant que freelance avec des entreprises de plus petite taille. Comment s’est déroulée cette transition ?
Au studio Ora Ito j’étais en charge de projets d’envergure, comme le nouveau tramway de Nice (Alstom), des hôtels nomades en container (Accor Hotels), les nouveaux cinémas Pathé, une gamme d’électroménager (Gorenje)… Mais toujours accompagné par des équipes techniques ultra-compétentes sur chacun des sujets. Je me concentrais sur mon rôle de designer, et apprenais des spécialistes que je côtoyais. Aujourd’hui mes clients sont souvent de jeunes entreprises, ambitieuses mais de taille modeste. Chaque projet est une nouvelle expérience pour eux comme pour moi, où je suis invité à prendre davantage de place. Je les accompagne souvent en amont du projet dans la création de leur marque, leur stratégie de communication. Lors de la conception de l’objet, mon rôle ne se cantonne plus au design, je recherche aussi les sous-traitants, maîtrise les coûts de fabrication, conçois les emballages, et surtout anticipe de nombreux écueils. C’est très enrichissant d’être intégré sur un projet de bout en bout. On apprend beaucoup, on gagne en savoir-faire. La fabrication française est de plus en plus plébiscitée par les consommateurs mais aussi par mes clients, ce qui permet de créer des liens entre eux. Beaucoup sont détenteurs de savoir-faire spécifiques, dont j’ai parfois besoin lors d’autres missions.
Tu conçois principalement du mobilier, des luminaires et d’autres petits objets ?
En réalité pas tout à fait, tu abordes là un point intéressant de mon quotidien professionnel. Je suis indépendant depuis seulement trois ans, c’est très peu en réalité. Effectivement les projets sur lesquels je communique sont des lampes, tables basses, fauteuils et autres secrétaires… mais je travaille surtout sur des objets de tous les jours, industriels et donc plus complexes à concevoir. Quand un meuble voit le jour quelques mois après les premiers coups de crayons (ou de souris), un objet industriel mettra plusieurs années à devenir réalité. Les process de fabrication et les enjeux de commercialisation sont très différents. Voilà pourquoi aujourd’hui, la vingtaine de projets que j’ai accompagnés sont pour beaucoup encore en phase de développement. Patience…
Comment se sont passés ces derniers mois pour ton activité ?
De ma campagne j’ai eu la chance d’être peu impacté par la crise sanitaire et économique que nous traversons. Certes la commercialisation de deux projets déjà bien avancés pour un «gros client» a été gelée, ce qui est assez frustrant. Malgré cela je n’ai guère eu le temps de souffler.
Mes autres clients ont profité du confinement et du retour à la maison contraint pour se consacrer davantage de temps à nos projets ensemble. Et le rythme n’a pas ralenti depuis, au contraire. Je suis contacté par de nombreux entrepreneurs dont le confinement a questionné leur avenir professionnel : envie changer de métier, créer sa propre marque, se réinventer en somme… et besoin de designers pour les épauler.
Tu as travaillé en France mais aussi en Finlande, un pays dans lequel le design est un art de vivre. Quel regard portes-tu sur leur façon de vivre et de créer et quelle a été l’influence de cette expérience ?
En effet, j’ai été accueilli pendant six mois chez un designer à Helsinki, durant mes études. L’art de vivre scandinave ? Même si cette expression est un peu galvaudée, je crois qu’elle fait sens. Alors qu’en France on engage un designer pour qu’un objet devienne «Design», les scandinaves sont davantage dans une démarche du beau, de l’agréable, sans besoin de revendiquer quoi que ce soit, ni d’y apposer une étiquette. Le design s’immisce très naturellement dans la vie quotidienne, peu importe qui l’a dessiné, il y a six mois ou six décennies, il est un peu partout, autour d’un photophore ou d’un tabouret. Il faut reconnaître que le climat assez rude invite à passer plus de temps chez soi, et donc à y apporter le plus grand soin. L’artisanat finlandais a encore une place importante, et les designers y sont pleinement intégrés. Ils échangent, prototypent directement avec les artisans, et la communion paraît comme une évidence, sans doute la continuité d’un héritage. Ce qui a laissé le jeune designer français que j’étais rêveur.
Tu exerces aujourd’hui entre Paris et La Rochelle et tu accompagnes parfois des entreprises locales. Je pense par exemple à Resistub Productions avec qui tu as collaboré pour la création d’Elmer… tu peux nous parler de cette collaboration ?
Nous nous sommes rencontrés lors de SpeedDating professionnels organisés par LeFrenchDesign, dont l’une des missions est de promouvoir le design au sein des entreprises françaises de l’ameublement. Nos échanges ont été mutuellement appréciés et nous avons souhaité réaliser un meuble ensemble. Comme son nom l’indique, Résistub est spécialiste du travail du tube et du métal. C’est très excitant pour un designer de s’astreindre à un savoir-faire technique imposé par son client, mais qu’il maîtrise parfaitement. J’habite à seulement quelques dizaines de kilomètres de l’usine, ce fut assez pratique pour les réunions ! Après presque une année d’échanges et de prototypes, est né Elmer, un secrétaire adossé à un mur, en métal noir et en chêne. Ma réponse à un besoin de simplicité et de praticité, on replie la tablette et le bureau disparaît. Pratique quand on télé-travaille !
A ce sujet, tu as travaillé avec des artisans en Inde ?
Exactement… dans le cadre de mon projet de diplôme «Orissa», un éditeur de mobilier indien axé sur un modèle économique un peu particulier, bâti autour d’un projet social, qui se nourrit des écrits du prix Nobel de la paix Muhammad Yunus. Sont nées de mes réflexions trois pièces : un fauteuil, un vase et table basse, toutes réalisées par des artisans locaux, autour de savoir-faire artisanaux. J’ai eu la chance de m’y rendre une première fois pour découvrir ces artisans, puis une seconde fois pour réaliser ensemble les prototypes. Un souvenir incroyable, la découverte d’une culture riche, où l’artisanat est encore foisonnant. Une furieuse envie d’y retourner, et peut-être donner vie à Orissa ?
Tes projets actuels et futurs ?
De nombreux projets sont en cours, et d’une grande diversité. J’accompagne depuis un an de jeunes cidriculteurs bio dans la création de leur identité de marque, des étiquettes au site web et logo. Récemment j’ai esquissé de petites lampes de table qui sont en cours de prototypage, des meubles de salle de bain, une malle de voyage, des produits électroniques ou de l’électroménager. On m’a aussi sollicité pour réfléchir à des solutions de mobilité partagée, ou à l’après Covid. En parallèle j’accompagne ponctuellement des agences de design parisiennes sur des sujets plus commerciaux. Enfin j’essaie de trouver un peu de temps pour fabriquer les meubles de notre nouveau cocon, qui sont depuis trop longtemps au stade de plan. Le bois m’attend dans l’atelier.
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