MARTA BAKOWSKI Interview

Agasho Processus artisan Design for Peace Marta Bakowski CAROLINE KARENINE

Designer française d’origine polonaise, Marta Bakowski mène une pluralité de projets entre éditions et collaborations plus artisanales. Une approche hybride qui révèle le travail de la main et des associations inédites de couleurs et de matériaux pour redéfinir les codes du design industriel. Également enseignante à l’École supérieure d’art et de design TALM-Le Mans, elle revient plus en détails sur son parcours, sa pratique et ses nouveaux champs d’action.

Bonjour Marta, ton parcours a été marqué par des études à Londres puis un passage à Berlin…. Tu peux nous éclairer un peu ?
Depuis très jeune j’avais en tête d’étudier à la Saint Martin’s School. Initialement je voulais m’inscrire dans les pas d’Alexander McQueen et John Galliano et étudier la mode. Puis mes années de prépa en école des Beaux-Arts puis en Arts Appliqués m’ont démontré une appétence pour le volume et l’objet. J’ai donc postulé en Design de produit et j’ai ensuite poursuivi avec un Master au Royal College of Arts. Après les études j’ai eu la chance d’intégrer les studios de la designer néerlandaise Hella Jongerius à Berlin. Un stage qui s’est transformé en job, ce qui m’a permis de rester en tout deux années à ses côtés. Puis fin 2013, je me suis retrouvée de nouveau à Paris.

Tu as fondé ton studio en 2013 pour mener une approche hybride du design…
Oui, le studio a vraiment pris forme en 2014. Mon but initial était de travailler encore quelques années pour le compte d’un designer ou d’une agence afin d’acquérir plus d’expérience. Mais cela n’a pas été un franc succès. Mon profil était probablement peu conventionnel… Puisque je ne rentrais dans aucune case, j’ai donc décidé de fonder mon propre studio et de créer mes propres règles. Je viens d’une éducation hybride avec une approche du design au sens large. Il n’y a pas vraiment de frontières entre les disciplines. Ma pratique se nourrit et s’inspire autant de l’art que de l’artisanat ou encore des sciences, de la nature, des arts populaires et folkloriques, de l’histoire, des cultures…

Tu alternes entre des éditions limitées plus artistiques et des projets industriels…
Oui j’aime cette pluralité. C’est un peu comme une recherche d’équilibre. Dans le design industriel, il peut parfois y avoir une certaine froideur qui déconnecte de l’humain. Il s’agit d’une production contrôlée, répétitive… L’artisanat quant à lui est défini par un travail de la main. Il y a beaucoup plus de place pour l’incertitude, les aléas, pour l’accident. C’est la matière qui guide. Le luminaire RAYS que j’ai imaginé pour Roche Bobois par exemple, réunit ces paramètres. L’ensemble de l’objet est produit industriellement mais le tissage reste un élément qui est réalisé à la main par des artisans français spécialisés dans la technique du cannage soleil (initialement destiné à la confection de paniers). C’est ce qui fait que l’objet a une certaine générosité. Pour travailler et alimenter ma recherche j’ai besoin de passer du temps avec la matière et j’ai besoin de comprendre comment les choses sont fabriquées pour voir à quel endroit ou à quel moment je peux intervenir pour créer quelque chose d’intéressant.

Les couleurs et/ou les matériaux peuvent être un point de départ pour un objet ?
Absolument ! Il m’arrive souvent de commencer un projet sans avoir la moindre idée de l’utilité que va avoir l’objet. Mon point de départ est un matériau qui m’intrigue ou bien une technique de production dans laquelle je vois un potentiel d’altération. Pour ce qui est de la couleur, je la travaille dès le début du projet. Pour moi elle n’est pas une finition mais un ingrédient fondamental du projet.
Choisir une couleur pour une collection en fonction des tendances du moment c’est une connerie. Il faut qu’elle s’inscrive dans une logique historique ou culturelle ou qu’elle soit en conversation avec la matière qui la porte.

Cosmos Bakowski 05 happy palette CAROLINE KARENINE

Tu as développé le Cosmos Concrete, un béton haute performance… Quelles sont ses particularités ?
C’est un béton qui a les propriétés d’un BFUP (béton fibré haute performance) et une esthétique qui s’apparente à celle d’un terrazzo. Il est d’une grande résistance et peut être coulé en plaques très fines et supporter de grandes charges sans fissurer ou casser. Sa particularité est qu’il est entièrement customisable au niveau des coloris et de la granulométrie. On peut choisir à la fois la couleur de la matrice (sa couleur principale) et celle des agrégats qui le composent. On peut également jouer sur son aspect graphique en variant la taille et l’espacement des agrégats. Cela permet de l’adapter à des projets très divers, que ce soit dans le mobilier ou l’architecture d’intérieur. Il est possible d’en voir un exemple dans l’espace enfant du Bon Marché Rive Gauche à Paris où il habille tout le mobilier de présentation.

Tes collaborations avec La Chance, (Ligne Roset), deux éditeurs aux approches bien différentes…
Oui, bien que la mécanique soit sensiblement la même, chaque éditeur a sa propre ligne éditoriale et véhicule par sa marque non seulement des histoires, mais aussi des procédés assez différents. Je pense que l’ancienneté et la taille de l’éditeur joue également. Dans les structures plus petites, il me semble que l’aspect collaboratif est beaucoup plus présent et mis en avant. Peut-être parce que l’équipe est à taille plus humaine… Toujours est-il que les échanges sont plus nombreux et dans son développement, l’objet évolue non plus seulement au gré des contraintes techniques ou financières de production, mais aussi au gré de la maturation de nos idées communes et de nos conversations. Avec La Chance nous avons récemment sorti une collection de poufs/ottomans appelés HOPI. C’est un projet qui a mis environ deux ans à voir le jour. La Chance m’a abordé avec un matériau étonnant, un textile en tricot technique, initialement destiné à la confection de baskets et sneakers, et qui permet des effets de décors en 3D. Le dessin et sa destination initiale ont changé de nombreuses fois et nous sommes passés par un vrai cheminement avant d’en arriver aux assises. Mais c’est ce qui fait que ce projet est riche, qu’il véhicule une vraie histoire et qu’il est complet dans le sens où tous les aspects ont été abordés main dans la main.

Il y a celle avec Maison Matisse également qui est superbe ? Tu t’intéresses de près aux techniques artisanales, aux savoir-faire…
Merci beaucoup ! Avec Maison Matisse il s’agissait d’un cas assez unique. C’est une maison fondée par la famille héritière du peintre. Elle s’est donnée pour mission de donner vie à des objets utilitaires qui rendent hommage à son œuvre, qui permettent en quelque sorte de la démocratiser et qui véhiculent des valeurs telles que l’optimisme et la joie de vivre. Le grand challenge dans cette collaboration était de ne surtout pas tomber dans le pastiche (comme souvent dans les objets dérivés vendus en boutiques de musées), mais bien de procéder à une interprétation sensible et humble de l’œuvre. Donc, bien avant de poser la question de la technique employée, j’ai dû me demander comment procéder à ce travail de traduction. Pour cela j’ai passé une longue période à m’imprégner de son travail, de ses techniques picturales, de son utilisation de la couleur. Mon atelier ressemblait à un joyeux bazar dans lequel j’ai travaillé entourée de papiers gouachés, de catalogues d’expositions ouverts un peu partout sur ma table et j’écoutais des enregistrements d’entretiens avec Matisse que je suis allée repêcher dans les archives de l’INA. Donc, la matière et la technique sont venus un peu plus tard. Nous voulions que les objets puissent rendre la couleur de la manière la plus fidèle possible, avec une facture qui fait écho à la peinture et au geste du peintre. Cela a nécessité de nombreux essais avec plusieurs manufactures et plusieurs types de céramique différents. C’est en Italie que Maison Matisse a fini par trouver un collaborateur capable de réaliser à la fois les formes et les décors à partir de mes dessins et mes compositions à la gouache. Les décors des assiettes et des pièces hautes sont réalisés avec des engobes émaillés qui comportent des traces de pinceau, des manques, des griffures qui font écho aux techniques matissiennes que je souhaitais mettre en avant dans la collection.

http://www.martabakowski.com/

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