Photographe plasticienne, Laura Bonnefous s’inscrit dans une démarche artistique pour façonner un univers visuel abstrait mêlant sculpture, mode et installations contemporaines. Récompensée par le Prix Picto 2015 pour sa série Out Of Line, elle prépare actuellement son premier film et sera notamment à l’affiche du Mois de la Photographie en avril prochain.
Bonjour Laura, commençons par retracer ton parcours dans les grandes lignes…
Je viens des arts plastiques et plus précisément de l’installation et du volume puis je me suis tournée petit à petit vers la photographie. Quant à ma formation, j’ai passé cinq ans aux Beaux-arts de Paris, un an à l’Otis College of Art and Design à Los Angeles et deux ans à l’école des Gobelins en photographie d’où je suis sortie il y a maintenant 2 ans. Ces expériences m’ont permis d’affiner ma pratique et je suis aujourd’hui photographe plasticienne.
Ton travail navigue entre art contemporain, mode et sculpture… On peut dire que ce sont les sources d’inspiration principales qui façonnent tes images ?
Oui bien sûr, cela fait partie de mon travail que de voguer entre ces différents domaines, de les faire se croiser, se mélanger. Ce qui me préoccupe avant tout ce sont les relations que nous entretenons avec le monde que nous avons créé, avec les objets et les formes qui nous entourent. Nos mythologies évoluent et changent chaque jour, je tente alors de les réinterpréter à travers un univers abstrait, presque surréaliste, de les amener vers une certaine poésie. L’installation et la sculpture sont mes principales sources d’inspiration, je m’intéresse aussi beaucoup à la mode, son renouvellement permanent me passionne. J’aime à imaginer des croisements entre ces différents domaines, je pense que ces univers sont indéniablement liés et c’est en partie ce que j’aime explorer. La sculpture aborde la forme et notre rapport à celle-ci, son essence même ; le vêtement possède lui, une notion de temporalité, d’un moment que l’on saisit avant qu’il ne soit déjà remplacé.
Tu te positionnes plutôt comme une photographe ou comme une artiste plasticienne ?
Les deux ? C’est une question que l’on me pose très souvent et bien évidemment je vous répondrais les deux ou … ni l’une ni l’autre, je fais ma photographie et je n’aime pas me ranger dans une case. La question pourrait même s’étendre à l’installation, la performance, le rapport à la peinture aussi, ce qui est certain c’est ce rapport à la matière que je développe, ce côté plasticien qui me fascine mais que je ne réduis pas à un domaine en particulier. Je pense que l’important est de développer sa propre démarche, de faire son chemin et creuser petit à petit ses recherches. J’avance depuis plusieurs années et depuis mes études aux Beaux-Arts dans une démarche artistique que je travaille et remets en cause chaque jour. La question pour moi n’est pas vraiment le medium même si c’est par la photographie que je m’exprime actuellement mais plutôt le sujet. J’évoque aussi bien la mode que la performance ou la sculpture et je trouve extrêmement intéressant de traiter une série dite « de mode » comme une installation ou encore un travail sur le paysage en lui apportant un côté très structuré et esthétique comme on peut le faire en mode. J’aime croiser les mondes afin d’en recréer des nouveaux, aussi je suis un petit peu de tout ça.
Ton travail s’articule entre commandes et séries personnelles. Comment procèdes-tu pour mettre en œuvre ces installations photographiques ?
Je construis à la base de manière similaire un travail de commande ou une série personnelle car comme je l’ai précisé à la question précédente, j’aime mélanger les univers. Pour certaines séries personnelles cela prend évidemment plus de temps et ca se bâtit sur du long terme car les projets nécessitent plus de temps de réflexion et de préparation. Mais pour l’ensemble des séries il y a tout d’abord une phase de recherches qui est extrêmement importante, un temps où je dessine, je prends des notes, je me replonge dans mes carnets de recherches, je retrouve des choses que j’ai croisées, des inspirations de la vie quotidienne, des lectures, des images, des expériences. Cette phase de préparation est pour moi la plus importante, elle forme les bases de mon travail et va me permettre ensuite de construire toute la préparation des prises de vues. Une fois le projet pensé, je réalise des croquis et passe à la mise en forme et en espace de mes idées, c’est le moment que je préfère. J’imagine les différents éléments se croiser, se cogner dans l’espace du rectangle qui dessine sur la feuille le viseur de mon appareil photo. Je travaille ensuite avec mes équipes pour monter le projet et le rendre possible (styliste, maquilleur, coiffeur, set designer, créateur…). Mon équipe est essentielle à mon travail car nous allons créer l’image finale ensemble et chacun mettra une partie de lui dans la réalisation, aussi les liens que nous avons formés au fil du temps nous permettent d’être à chaque fois plus juste dans la création.
Quelles places tiennent l’improvisation et la retouche ?
L’improvisation est une chose que je ne laisse pas de côté même si je construis mes projets en amont et que je fais des croquis et des préparations de chaque prise de vue. Il est important de laisser une petite place à l’improvisation même si elle est éloignée de mon travail car parfois les idées se décalent légèrement de la première intention et ça n’en est que plus fort. J’essaye au maximum de me laisser cette petite porte ouverte pendant la réalisation de l’image car cela peut résulter sur de belles choses. Pour ce qui est de la retouche, je suis quelqu’un de très bricoleur sur mes prises de vues, aussi chaque élément, chaque objet est placé directement en studio et dans le « réel ». Je fais le maximum à la prise de vue, je vois plus la retouche comme un outil pour accentuer l’ambiance de couleur que j’ai travaillée au moment de la réalisation. La retouche donne pour moi le point final de l’ambiance de l’image, je suis par contre très pointilleuse sur les couleurs et le ton donné à l’image finale.
Tu as été récemment primée pour la série Out of Line. Peux-tu nous parler plus en détails de ce projet ?
Out of Line est en effet la série qui m’a donné une très belle visibilité l’année dernière entre la Bourse du Talent et le Prix Picto. C’est un projet que j’ai réalisé sur presque un an en différentes strates. Out of Line formule en quelque sorte le moment où j’ai réellement eu envie de croiser les frontières de différents univers et de m’exprimer à travers ceux-ci. J’avais déjà commencé cette démarche avec ma série Speak with Silence où j’opérais un dialogue silencieux entre paysage et installation. Pour Out of Line, j’ai été encore un peu plus loin dans la démarche, en me fixant quelques règles, j’ai décidé de faire dialoguer dans un espace abstrait voir presque mental, des personnages, des vêtements et des formes. Je voulais faire l’expérience du corps mais aussi de la forme comme matière première à un tableau abstrait. Chaque personnage a été choisi bien spécifiquement et accordé à des vêtements, couleurs et formes afin d’expérimenter une certaine poésie de l’espace. Ce projet a été un vrai pas vers une recherche poétique de la photographie, il m’a permis de comprendre et d’ancrer ma démarche vers cet univers qui m’attirait depuis longtemps.
Pour cette série et pour d’autres, tu travailles avec des modèles bien éloignés des standards de la mode…
Oui, il est important pour moi de ressentir une certaine attraction, une force face à mes modèles. Je les fais poser dans une certaine neutralité, ils deviennent les éléments d’un tableau presque abstrait, aussi j’ai besoin de travailler avec des personnages qui ont du charisme plus que des codes de beauté habituelle. La question n’est pas pour moi de travailler avec des modèles atypiques ou plus classiques, j’ai besoin d’une certaine puissance, de quelque chose qui n’est pas palpable, qu’ils vont me donner non pas à travers un sourire mais à travers quelque chose de bien plus fort, le regard et le silence.
Tes images sont assez minimalistes, avec une grande utilisation du blanc, peux-tu nous expliquer ce parti-pris ?
Venant de la sculpture et de l’installation je pense que la notion de White cube, d’espace d’exposition neutre a beaucoup joué dans la construction de mon univers. J’ai pour base dans mon travail, un départ à zéro, un vide qui va me permettre de construire mon image par couches, par éléments que je vais ajouter petit à petit. Pour moi le réel est comme une immense hotte dans laquelle je vais piocher des éléments afin de reconstruire un nouvel espace. Il en est de même pour mes images d’extérieur ou je simplifie au maximum l’espace pour garder uniquement ce qui m’intéresse et que je veux mettre en scène. A l’inverse de photographes qui composent avec le réel, je me sers ce celui-ci pour construire un espace nouveau, un espace mental qui s’éloigne complètement de celui-ci. Le blanc et les couleurs pastel symbolisent pour moi cette base de construction à mes univers surréalistes, je viens les renforcer ensuite par une certaine intensité des noirs et la chimie opère.