Photographe nord-américaine installée à Toronto, Geneviève Caron appose sa signature visuelle à travers des séries de portraits à l’esthétique épurée et élégante. Célébrités, enfants et même animaux deviennent ainsi ses modèles de prédilection et nous invitent à ralentir pour mieux les contempler. Auteure de l’étonnante série Grand Hôtel Miramare qu’elle poursuit actuellement, elle nous ouvre les portes de son univers visuel pour mieux parler de son engagement et de ses projets.
Bonjour Geneviève, pour démarrer revenons sur vos premières expériences photographiques… Comment avez-vous été initiée à cette discipline ?
J’ai commencé à prendre des photos assez jeune, par pur plaisir de fabriquer des images. Après avoir longtemps dessiné, la caméra semblait tout à coup promettre facilité et exactitude de représentation, difficile à atteindre par le dessin. C’était à l’époque de l’argentique, où l’on devait attendre quelques jours avant que la pellicule soit développée et les photos imprimées. Cette attente offrait un cadeau : celui de découvrir si on avait atteint l’objectif ou non, si le résultat correspondait à l’intention initiale. Ma mère, qui était professeure d’art, prenait beaucoup de photos de famille. Elle avait par contre beaucoup de mal avec le côté technique de la chose, et nous faisait patienter de longs moments. Je crois m’être promis à ce moment de ne jamais faire patienter quelqu’un devant mon objectif. Plus tard à l’adolescence, j’ai suivi quelques cours de photo, ainsi qu’à l’université pendant mon bac en Design Graphique. C’est plus tard, en travaillant comme designer graphique, que j’ai eu la chance d’engager des photographes et de travailler avec eux sur différents projets comme des rapports annuels et autres supports de communication corporate. Après quelques années, je décidais de quitter mon emploi et de tenter ma chance en photo.
Comment définiriez-vous la sensibilité française de votre photographie ?
Cette sensibilité se traduit peut-être par la direction artistique qui se veut simple et intemporelle. Mes choix esthétiques concernant le maquillage, les vêtements, le casting, etc. sont influencés par tout ce que j’aime de la mode française à savoir le côté garçon manqué, faussement négligé, la beauté naturelle et apparemment sans efforts, cheveux coiffés décoiffés, etc. Je pense aussi à la façon dont Guy Bourdin utilisait le rouge, ou à une certaine nostalgie dans le regard comme c’est le cas dans l’absence de spontanéité des daguerréotypes. J’ai également toujours été fascinée par les dessins d’humour de Sempé. Je crois dans une certaine mesure être influencée par ses mises en scènes à la fois plausibles et invraisemblables.
Vous êtes membre du FH Studio. Expliquez-nous un peu ce dont il s’agit et comment vous collaborez avec les autres artistes…
FH Studio me représente sur le marché de Montréal. C’est une boîte de production qui regroupe photographes et réalisateurs. J’ai récemment collaboré avec le réalisateur Christian Langlois sur un projet pour Nivea, dont la porte-parole canadienne est la championne olympique de danse sur glace Tessa Virtue. Nous avions seulement deux jours avec elle pour réaliser les pubs télé et les 8 images de la campagne imprimée. Beaucoup à accomplir en très peu de temps. Nos deux équipes respectives se sont entraidées tout au long du processus, en partageant éclairage, décors, et surtout la star !
Vous réalisez de nombreuses séries de portraits. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans ce type de travail ?
En mettant l’emphase sur une apparente absence d’expression, j’explore un espace qui laisse le soin de l’interprétation à chaque spectateur, selon ses propres axiomes, sa propre culture, ses propres valeurs, etc. Je m’intéresse également à l’impact provoqué par un certain dépouillement et une approche visuelle d’apparence simple.
Ce qui semble vouloir surgir sous ces contraintes sont de subtiles relations entre formes, couleurs, textures, etc. Je suis toujours agréablement surprise de faire ces découvertes. Plus on tend vers la simplicité, plus certaines relations de prime abord invisibles sont révélées. Richard Avedon disait : « il faut dire non à beaucoup de choses pour pouvoir dire pleinement oui à une seule chose ». J’ai toujours ce principe en tête. Ces portraits se veulent également une invitation à ralentir, à prêter attention aux détails qui trop souvent nous échappent.
Vous avez d’ailleurs réalisé une série atypique baptisée Grand Hôtel Miramare qui a remporté le Grand Prix Photographie 2017…
L’idée de ce projet a germé après un premier séjour en Italie en 2011, où je fus époustouflée par le soin avec lequel les femmes se paraient pour aller à la plage. Bijoux, coiffures, maquillage, un langage visuel d’une grande sophistication pour ma sensibilité nord-américaine. Je dois préciser que je viens du nord du Québec, là où la relation avec la nature était jusqu’à récemment d’ordre pratique. Sans vouloir tomber dans le cliché facile, cette relation s’articulait autour du travail acharné afin de nourrir sa famille (nombreuse), de soigner et guérir, et de survivre aux longs hivers rigoureux. Les moments de détente par beau temps étaient rares et duraient peu, ne permettant pas l’émergence d’un rituel, d’une chorégraphie sociale sur le thème de l’esthétisme et de la beauté. Je crois que c’est fondamentalement pour cette raison que j’ai tant eu envie de faire ce projet. Grand Hotel Miramare questionne donc les attributs de l’archétype féminin qui sont habituellement célébrés dans nos sociétés. C’est une recherche sur le dialogue entre le corps féminin, l’âge, l’esthétisme, avec pour objectif de questionner les canons de la beauté tels que nous les concevons. Pourquoi ne pas photographier une femme de 80 ans en pleine lumière solaire, en maillot de bain, dans toute sa beauté, dans ses beautés plutôt, celle d’hier et celle d’aujourd’hui, confiante devant l’objectif ? Je voulais rendre honneur à cette beauté, celle qui transcende le temps. Je voulais que ces photos soient une porte d’entrée, et non un miroir. Ces images permettent au spectateur d’inventer sa propre histoire et sa propre interprétation. Ces images ont été réalisées en 2016, et je compte continuer à développer ce projet et éventuellement publier un livre. Tel que le dit si bien Norman Doidge « Light is not only a painter, it’s also a sculptor ».
Et il y a aussi les séries sur les enfants. Quels types de modèles sont-ils ? Est-ce plus facile et avez-vous plus de liberté créative avec eux ?
La chose intéressante quand on photographie des enfants est qu’ils n’ont pas besoin qu’on leur parle. Avec les adultes, il est très important de constamment interagir avec eux, si on veut qu’ils se détendent et oublient la caméra. Les enfants, eux, sont parfaitement à l’aise dans le silence et sont heureux de se rendre partenaires de la création. D’ailleurs ils ne comprennent pas bien les directives orales, je les « sculpte » donc en déplaçant soit une main, soit les doigts, en modifiant légèrement la position de leur tête, etc. Je dois également ajouter que je suis, de nature, très à l’aise avec les enfants. J’ai beaucoup de respect pour eux et je suis fascinée par leur façon de percevoir la réalité, et d’exister dans le moment présent. C’est probablement ce que je trouve le plus inspirant lorsque je travaille avec un enfant. D’un point de vue purement plastique, j’aime beaucoup la proportion tête-épaule chez les enfants – la tête étant assez large et les épaules plutôt petites. J’aime comment ces proportions habitent le cadre.
Et celle sur les animaux pour sensibiliser à la protection des espèces menacées… J’imagine que le shooting fut un peu spécial ?
Tout à fait. D’abord il y a le travail de l’équipe qui entraîne les animaux, dans ce cas-ci un père et son fils. Ils travaillent ensemble depuis longtemps, et connaissent le caractère de chacun des animaux dans leurs moindres détails. Par exemple, le zèbre avait besoin d’avoir son copain l’âne tout près de lui pendant la session, pour avoir du courage. C’est un peu comme les humains d’ailleurs. Outre les images, c’est peut-être cette rencontre possible entre l’homme et la bête qui m’est restée comme l’aspect le plus intéressant de ce projet. Gregory Colbert est un photographe qui documente, selon moi, ce rapport avec beaucoup de poésie et d’humilité.
Quel regard portez-vous sur les réseaux sociaux d’images comme Instagram et comment les utilisez-vous ?
J’essaie de les utiliser pour communiquer avec mon réseau et inspirer mes clients avec des images ou du contenu qui parle de ce qui me passionne. Les réseaux sociaux sont un outil très puissant. Par exemple, ma série de portraits sur Behance a été vue par plus de 40000 personnes, et a permis à une agence allemande de découvrir mon travail et de m’engager pour un projet. Il faut évidemment savoir les utiliser à bon escient et se rappeler que ces outils ont été conçus précisément pour accaparer le maximum de notre temps, avec leurs fonctions qui créent de la dépendance en livrant continuellement de la dopamine au cerveau. Je demeure également attentive aux sentiments négatifs qui naissent autour de l’utilisation d’instagram. Par exemple, pourquoi ressentirais-je de la culpabilité parce que je n’ai pas partagé plus d’instants de mon dernier voyage ? Ou pourquoi est-ce que je perdrais confiance en voyant les photos extraordinaires de mes concurrents ? Une stratégie d’utilisation est essentielle pour éviter que ces émotions négatives se développent.
J’ai lu dans votre bio que vous souteniez plusieurs causes. De quelle manière êtes-vous engagée et comment faites-vous le lien avec votre travail de photographe ?
Je le fais à travers la photographie, en offrant mon temps et mes images. Par exemple, j’ai réalisé plusieurs photos pour la compagnie de danse canadienne Pro Arte Danza. J’ai aussi réalisé tout dernièrement une campagne imprimée pour the American Heart Association. J’essaie également de m’impliquer auprès de la nouvelle génération de photographes, en collaborant avec l’université Ryerson ici à Toronto. En avril je recevrai au studio une vingtaine d’étudiants afin de leur offrir un atelier sur l’éclairage. Je suis également membre de RARE, organisme à but non lucratif qui a pour mission de préserver 400 ha de terrain à vie pour les programmes de recherche et d’éducation. Je suis toujours prête à donner une image pour aider les causes que j’appuie – et ça fait plaisir de voir les enchères monter lors des levées de fonds !
Pouvez-vous nous parler de vos projets actuels et futurs ? Des voyages, expositions, collaborations en France ?
Pour l’instant je travaille sur un projet de portraits vidéos avec des gens du milieu des arts, ici à Toronto. C’est un projet personnel où j’explore la notion de curiosité. Je compte aller aux Rencontres d’Arles début juillet, avec mon nouvel agent sur Paris, Marielle de La Belle Façon. Et une exposition du projet Miramare au festival Contact de Toronto, en mai 2019 est en pourparlers.