À une époque durant laquelle un designer s’appelait encore un décorateur, Jean Michel Frank a su imposer un style novateur, en marge des tendances de ses contemporains. Il fait office aujourd’hui de précurseur d’un style décoratif épuré, d’un raffinement issu du vide et de la sobriété. Une icône de l’Art Déco à découvrir ou à redécouvrir.
Pionnier du minimalisme en matière d’aménagement intérieur, Jean Michel Frank est issu d’une famille bourgeoise et aurait pu se contenter de vivre une vie facile d’héritier. Pourtant, en 1921 il décide de faire ses premiers pas dans l’univers de la décoration. Il réalise alors des aménagements dans des appartements cossus de l’intelligentsia parisienne et d’artistes surréalistes, ses amis sont ses premiers clients.
En 1924, il acquiert un bel appartement dans lequel il pourra affirmer son goût pour la simplicité, le trop plein décoratif n’y ayant pas sa place. Un minimum de mobilier, des murs laissés bruts ou encore recouverts de marbre blanc donnant un effet cinétique, marqueteries murales jusqu’alors utilisées sur de petit objets. Son style détourne les usages habituels et offre un dépouillement visuel tout en favorisant des matériaux d’exception. Il laisse ainsi « respirer les espaces ». Jean Cocteau qui, sortant de son appartement, définira assez bien l’effet donné par ses aménagements :
« Charmant jeune homme ; dommage que les voleurs lui aient tout pris ».
En 1926, il est chargé d’aménager un fumoir, une antichambre et un boudoir pour Charles et Marie-Laure de Noailles à Paris. La nudité radicale du lieu provoque un véritable choc esthétique qui sera décrié mais aussi plébiscité. Dans les années 70, Yves Saint Laurent évoquera le fumoir dans le magazine Vogue et le qualifiera de « huitième merveille du monde ». Un bel hommage à l’élégance et au minimalisme prônés par Jean Michel Frank qui utilisera pour ses réalisations des matériaux riches tels que le granit, le galuchat, l’ivoire, les bois rares qu’il mélangera à d’autres plus surprenants : parchemin, rotin, moleskine, paille,etc.
Toujours à la fin des années 20, il collaborera avec le sculpteur Giacometti pour créer vases, luminaires et autres objets aux formes primaires et d’une simplicité exceptionnelle. Ayant travaillé principalement des couleurs sobres telles que le blanc, le beige, le gris, Jean Michel Frank introduit de la couleur en coopérant avec le peintre Christian Bérard, créant ensemble des trompe-l’œil muraux, ou encore en intégrant le célèbre canapé Boca, d’un rouge puissant, de Salvador Dalí.
Dans les années 30, toujours entouré par des clients issus du monde de l’art, de la mode ou de la politique en France et à l’international, il continue d’insuffler à la décoration un style personnel fait de silence, de paix et d’harmonie. En 1940, il quitte l’Europe pour l’Argentine puis pour New York où il mettra fin à ses jours un an après. Jean Michel Frank aura donc joué un rôle majeur dans l’évolution des formes et des techniques décoratives, sans pour autant que son époque en ait été tout à fait consciente.