Choisie pour réaliser deux affiches artistiques à l’occasion de Paris 2024, Stéphanie Lacombe est aussi et surtout celle qui raconte les histoires de vie des classes populaires à travers des séries touchantes. Un travail prenant et passionnant fait avant tout de rencontres singulières qu’elle nous raconte ici.
Bonjour Stéphanie, quel a été votre parcours dans les grandes lignes ? Et vos premiers pas en photographie ?
Je suis montée à Paris pour entrer au lycée du livre et des arts graphiques rue Madame. Ensuite les Arts déco. Mon projet de fin d’étude « la grande Borne » qui parle de l’enfermement dans l’enfermement (habiter un logement dans une cité enclavée) m’a donné une petite visibilité dans le monde de la photographie. Un prix décerné par Sébastio Salgado avant de quitter l’école. Puis une envie féroce de faire des images a fait le reste, notamment ma série « la table de l’ordinaire » avec laquelle j’ai reçu le prix Niépce en 2009.
Qu’est-ce qui vous a poussé à immortaliser ces gens, ces lieux, ces histoires de vie… que l’on connait peu finalement ?
C’est une question complexe avec plusieurs réponses probables. Mais vous avez un début de réponse dans votre question ! On les connait peu. Pierre Rosanvallon les appelle les invisibles, les sans-voix. Pour ma part, instinctivement, j’ai orienté mes différents projets sur les classes populaires. Ce qui m’intéresse c’est aller vers les autres et apprendre d’eux, passer du temps à observer les différentes manières de vivre et d’appréhender le quotidien dans sa répétions, observer les méthodes mises en place pour s’en sortir ou raconter la manière dont les familles aménagent leur intérieur… une image, seule, peut révéler une situation sociale et économique. Mais par-dessus tout, je crois que je fuis ma propre crainte du quotidien. Je ressens mes projets comme une échappée indispensable du monde dans lequel je vis. En allant rencontrer des gens sur un parking en province ou dans un camping de mobil-home, c’est l’incroyable diversité des récits qui me poussent à continuer. Je donne pour exemple extrême une dame qui vivait avec un bouc dans l’appartement du premier étage de son HLM. Elle l’avait trouvé le long de la route et pensé le sauver. Voilà, je ne peux pas inventer ce genre d’histoire.
Vous allez à la rencontre des classes populaires. Comment organisez-vous vos prises de vues ? Comment expliquez-vous aux gens ce que vous faites et comment réagissent-ils en général ?
Je suis invitée en résidence de création dans des régions que je ne connais pas. Je passe donc du temps à me documenter, notamment sur la topologie du territoire et son impact sur la vie des habitants à l’échelle du quartier ou de la ville. Je rencontre les élus, les commerçants, j’erre dans les rues et surtout les bars. Je fume pas mal de cigarettes, c’est un moyen de rester en lien avec les personnes que je rencontre. Autrement-dit je parle à tout le monde ! Ensuite je définie mon projet. Je suis incapable de faire une photographie en dehors d’un protocole prédéfini (mais j’y travaille !). Et c’est seulement à ce moment-là que je peux enfin proposer aux gens que je rencontre de les photographier avec une intention très claire, définie, carrée. Quand je suis sûre de moi, je peux convaincre la planète entière qu’il est indispensable de participer à mon projet documentaire. C’est un investissement total, entier, je suis en immersion durant plusieurs semaines sans rentrer chez moi. Je vis quasiment avec les gens, je fais partie en peu de temps de leur environnement social. Et puis souvent, dans le cadre d’une résidence, il y a une restitution. Et c’est là que je mesure le besoin qu’ils ont que l’on parle d’eux, qu’on les regarde, qu’on les mette en lumière, le temps d’une exposition, d’un vernissage ou dans un ouvrage. Ils sont très fiers en général. C’est énorme.
Il est important de parler de ces gens, de montrer leur quotidien avec un regard artistique et surtout avec bienveillance…
C’est la moindre des choses. Je garde toujours à l’esprit qu’une personne qui accepte d’être photographiée me donne quelque chose de précieux : un visage, un instant et une pensée très intime. Il serait très facile de tomber dans la caricature, c’est tout ce que je déteste évidemment. J’aime aller chercher la faille chez quelqu’un de rustre ou l’amour des êtres qu’on ne supposerait pas. Et quand je suis témoin de situations vulnérables, je ne montre en général pas les photos.
Vous complétez toujours vos clichés avec des petites phrases…
Il s’agit la plupart du temps d’anecdotes racontées par les sujets ?
J’adore l’anecdote, j’adore les détails, tous les détails. Concernant les récits, ce sont des petites phrases qui emmènent loin. On ne sait pas trop qui parle : moi ou la personne photographiée. Cela permet une distance et par un effet d’abîme, donne aussi une autre dimension à l’image.
Certaines de vos séries sont toujours en cours il me semble…
Je travaille actuellement sur la jeunesse qui reste à Beaucaire, la jeunesse des apprentis et des décrocheurs scolaires, avec un ouvrage édité aux éditions B42. Toujours pareil, c’est l’histoire d’une petite ville de province qui subit l’exode urbain, la classe moyenne est partie vivre en pavillon, le centre-ville s’est paupérisé, le rassemblement national s’est installé à la municipalité. Et la jeunesse ne prend plus le train en marche qui, lui, de toute façon, ne s’arrête plus à la gare depuis longtemps déjà.
Il y a aussi vos séries « Errance » dans un tout autre style…
Ah merci de l’évoquer ! c’est ma soupape ! C’est la série Silence Grenadine réalisée à la Villa Médicis qui m’a donnée l’occasion de libérer les chevaux : oser quitter les logements dans lesquels je m’enfermais artistiquement (qui étaient devenus le centre de tous mes projets) pour sortir dans la rue, errer, vagabonder, faire des photos sans protocole ni dispositif. Libre de toute intention. En rentrant en France, j’ai réalisé Hyper Life, une série sur les clients d’un parking d’Intermarché (j’y suis restée près d’un an, le kiff !), et ensuite, Somme Toute pour la BNF. L’Errance a donc été pour moi une libération.
Quels sont vos projets pour les semaines et mois à venir ?
Le mois prochain je suis en résidence à Clermont Ferrand pour un nouveau projet qui abordera l’ennui ordinaire.
Un peu d’auto-promo ?
Si vous insistez ! J’ai eu l’honneur d’être choisie, avec six autres artistes en France, pour la réalisation de deux affiches artistiques dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympique Paris2024. J’ai encore du mal à réaliser, grande surprise que m’a faite Dominique Hervieu en me choisissant.
L’exposition des affiches va tourner dans 24 Villes de France à partir de septembre.
En savoir plus sur Stéphanie Lacombe : https://lacombestephanie91e7.myportfolio.com/