Artiste photographe, Charlotte Parenteau-Denoël s’est notamment fait connaître avec sa surprenante série Omniphone qui traite de l’omniprésence du téléphone dans nos vies. Un travail visuel minutieux qu’elle a poursuivi avec Omnifood. Aujourd’hui, elle présente son projet de pop art Canned basé sur le détournement et réalisé en collaboration avec Fabien Moreau aka Mofartz.
Histoire de l’art, architecture d’intérieur puis photographie… vous avez suivi un parcours quelque peu atypique… Quelles ont été vos premières expériences photographiques ?
Comme tout le monde je faisais ce je j’appelle des « photos-clic », des photos à la va-vite sans réelle réflexion, juste pour immortaliser des moments ou des sujets jolis (ou pas !). Puis je me suis rapidement intéressée à la texture des éléments, des objets, à ce qu’on ne voyait pas au premier coup d’œil. Nous avions déjà un Pentax K-30 à la maison, muni d’un objectif vendu avec l’appareil photo. Ne m’en étant jamais servi j’ai décidé de m’y mettre il y a un peu plus d’un an. De nature impatiente, j’ai foncé m’acheter un objectif 100 mm pour faire de la macrophotographie. C’est est un procédé qui permet de grossir énormément un sujet (fleur, insecte…) et donc de révéler des textures, intéressantes (« nid d’abeilles »). Il a fallu que j’apprivoise un peu l’appareil photo et son fonctionnement n’y connaissant strictement rien ! Ce fut laborieux et l’impatience n’a pas aidé.
Chose faite, je me suis mise à prendre en photo tout un tas de choses que je pouvais donc grossir et ensuite observer. Cela m’a amusé un temps. Puis je me suis vite lassée des fleurs et autres petites bêtes. J’ai commencé à photographier entre autres des aliments. Il y a un choix inouï de texture et je trouvais le sujet intéressant. De fil en aiguille, je me suis mise à composer mes photos et à me concentrer sur le détournement d’objet afin de créer une réflexion chez le spectateur. En ont découlé deux séries qui m’ont permis de faire connaître mon travail, Omniphone et Omnifood. Elles traitent toutes deux du détournement et de sujets du quotidien. L’omniprésence du téléphone portable et l’omniprésence de la nourriture dans nos sociétés.
Vous êtes davantage identifiée comme une artiste qui pratique la photographie ? Avec une sensibilité particulière pour le Pop Art et le surréalisme…
J’ai toujours eu un penchant pour ce qui sortait de l’ordinaire ou les artistes dénonciateurs (Magritte, Wahrol pour ne citer qu’eux). Le figuratif ne m’a jamais vraiment intéressée. Reproduire ce que je vois dans la journée, ce n’est pas mon dada (sans jeu de mots).
Parlez-nous un peu de votre série Omniphone… Comment est-elle née ? L’idée était de montrer l’omniprésence du téléphone dans nos vies….
J’ai eu mon premier téléphone portable il y a 20 ans, à 11 ans, un énorme téléphone portable comme on en trouvait au début. Je pense que comme beaucoup de personnes, (toutes générations confondues), je suis une « phone addict » et je n’en suis pas particulièrement fière, mais je l’assume. Il y a un an et demi, ma fille de deux ans à l’époque me dit un jour « Maman, arrête avec ton téléphone ». Cela m’a fait l’effet d’un électrochoc. Généralement c’est l’inverse qui se produit, ce sont les parents qui disent à leurs enfants de cesser les écrans. Bref, elle avait tellement raison du haut de ses 80 cm… J’ai donc décidé de me servir de cette addiction et d’en faire quelque chose. L’art et plus particulièrement la photo m’ont semblé être un bon moyen d’exorciser le problème. Je me suis servie de plusieurs moments du quotidien, communs à tous, pour mettre en évidence l’omniprésence du téléphone portable. Par exemple avec « Smartphone sur le plat », j’ai imagé la présence du téléphone dans la cuisine. Aujourd’hui la plupart des gens cherchent les recettes directement sur leur portable,
« Rafraichissement 2.0 » montre la présence du téléphone lorsque l’on boit un verre entre amis, avec « Scanner », je pensais aux gens dans les supermarchés qui scannent les codes barre des produits qu’ils achètent pour voir s’ils sont sains ou non, « Intimité » met le doigt sur les couples qui pianotent sur leur téléphone le soir avant de dormir…. Chaque photo reprend des moments du quotidien qui rythment nos journées.
On pourrait penser que vous avez beaucoup joué sur le montage photo mais en réalité, ce n’est pas du tout le cas… Justement, ce parti-pris a-t-il compliqué le travail de réalisation ?
Beaucoup de personnes pensent qu’il y a du montage photo. J’essaie de crier haut et fort que non mais ce n’est pas toujours évident. Oui ce parti-pris m’a compliqué la tâche mais rend la réalisation des photos d’autant plus amusante. Je suis obligée de me creuser la tête. J’aime les jeux visuels, les illusions d’optique et autres trompe l’œil, trouver des solutions aux problèmes ça fait partie du jeu.
Chaque image est composée de deux photos, une première prise avec le smartphone en question et l’autre avec mon appareil photo. Je garde quelques petits secrets quant à la réalisation et la mise en place des éléments pour la photo finale…
Cette série à succès vous a d’ailleurs valu le prix « Nouveaux médias et société » décerné par l’INA et elle voyage régulièrement pour être présentée lors d’expositions…
En effet, j’avais participé un peu en dilettante à un concours photo sur le web et j’ai un jour reçu un mail me notifiant que ma photo était lauréate d’un prix décerné par l’INA. Au début je n’y ai pas cru, je ne me souvenais même plus dudit concours, puis après quelques échanges d’emails ce fut clair.
Pour Omnifood, vous avez également tout fait à la main… racontez-nous l’histoire de ce projet…
J’ai travaillé pendant plusieurs années à mi-temps dans un magasin d’alimentation. J’ai fini par trouver le temps et les journées longues et il a fallu que j’occupe mon esprit. Étant entourée d’aliments, l’idée de les mettre en scène de façon détournée par le biais de la photographie a rapidement nourri mon imagination. C’est comme cela que j’ai imaginé des spaghettis sortir d’un pommeau de douche (« Fast-Food »), d’un appareil photo
(« Pâtes instantanées »), de la viande de bœuf devenir une pelote de laine (« Laine de bœuf ») ou encore un chou se transformer en calepin (« Feuille de choux ») … L’objectif est de faire réfléchir les gens sur leur rapport à la consommation au sens large.
Plus récemment, vous avez imaginé « Canned » avec Fabien Moreau, un projet qui fait référence à l’œuvre de Warhol…
Nous avons développé ce projet à deux avec Fabien aka Mofartz qui est issu du monde du cinéma et exerce les métiers de décorateur mais aussi d’accessoiriste et travaille de nombreuses qui ont été très utiles. Nous avons gardé le fil conducteur du détournement pour ce projet qui s’inspire de notre enfance mais également du Pop Art. L’idée est de produire 32 modèles de conserves différents et de « mettre en boite » plusieurs sujets, à l’instar des 32 sérigraphies qui composent l’œuvre d’Andy Warhol « Campbell’s Soup Cans » tout en détournant les codes et les symboles de la société de surindustrialisation et de surconsommation pour les tourner en dérision. Le projet initial était de réaliser des photographies des boites de conserve mais on nous a vite demandé si nous pouvions les matérialiser sous forme de sculptures. Nous sommes donc passés de l’éphémère au permanent. Nous fabriquions notre sujet photo pour qu’il ait une durée de vie le temps de la prise de vue puis il a fallu réfléchir pour rendre l’objet durable dans le temps. Chaque sculpture est limitée à une reproduction de 10 exemplaires mais elles sont néanmoins toutes différentes sachant qu’elles sont réalisées à la main. « Canned » connait un réel engouement auprès des particuliers et des galeries d’art françaises mais également en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg et en Suisse.
Il y a donc une véritable préparation artistique, manuelle avant l’intervention de la photographie…
Tout à fait, chaque idée est étudiée avec minutie. Nous faisons des « brainstorming » régulièrement pour échanger nos idées et les confronter. Travailler à deux est vraiment quelque chose que nous apprécions car étant tous les deux issus du monde de l’art que ce soit par nos études ou autre, les idées fusent !
Que pouvez-vous nous dire sur vos prochains projets de l’été, de la rentrée prochaine ?
Cet été, nous allons essayer de prendre un peu de repos au mois d’août. J’ai bien dit essayer car la création est très addictive ! A la rentrée nous allons continuer notre série Canned car il nous reste une dizaine de modèles à produire pour arriver aux 32 modèles prévus. Nous avons aussi pour projet de collaborer avec d’autres artistes mais gardons la surprise pour l’année à venir… Nous commencerons la rentrée par un vernissage dans une galerie parisienne (13ème) dès le 7 septembre. Plusieurs expositions photos mais également de nos sculptures sont programmées jusqu’à mi-2020. Nous n’allons donc pas avoir beaucoup de répit mais nous adorons cela. Notre travail est à découvrir sur le site www.charlottepdenoel.com. Nous aimons particulièrement l’interaction et l’échange avec les gens et sommes souvent présents sur Instagram :
@charlottepdenoel @Mofartz_